pages tagged Augustin-CharlesRenouardhroy.euhttps://hroy.eu/tags/Augustin-CharlesRenouard/hroy.euikiwiki2023-10-30T19:54:26Zhttps://hroy.eu/posts/renouard-perpetuel/Augustin-Charles Renouard
<a
href="http://creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/">CC0-1.0</a>
Source: Augustin-Charles Renouard, <em>Traité des droits d’auteurs
dans la littérature, les sciences et les beaux-arts</em>, troisième
partie. 1838. <a
href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5739469p/">Source
Gallica</a> Domaine public.
2023-10-30T19:54:26Z2014-04-08T19:53:35Z
<p><em>Traité des droits d’auteurs dans la littérature, les sciences et
les beaux-arts</em>, troisième partie. 1838. Extraits (<a
href="https://hroy.eu/posts/renouard-perpetuel/renouard-perpetuel.mdwn.pdf">pdf</a>):
<a
href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5739469p/f451.image">§</a></p>
<h4
id="la-reproduction-des-ouvrages-desprit-nest-point-un-objet-de-propriété.">§ Ⅴ.
La reproduction des ouvrages d’esprit n’est point un objet de
propriété.</h4>
<p>[…]</p>
<p>Toute puissance du propriétaire, inviolabilité de son droit exclusif,
perpétuité de ce droit par complète transmission d’ayant-cause en
ayant-cause, ce sont là les caractères que les habitudes du genre humain
reconnaissent à la propriété et sur lesquels se fonde le respect qu’on
lui porte.</p>
<p>Le droit de propriété a rencontré des adversaires ; car l’une des
preuves de liberté que l’esprit humain a toujours faites a été de se
révolter contre les vérités les mieux acceptées.</p>
<p>[…]</p>
<p>Non-seulement, je crois au droit de propriété ; mais je suis de ceux
qui pensent que son établissement repose sur un droit nécessaire et
naturel. Je dirai pourquoi je n’accepte pas l’opinion qui réduirait la
propriété à n’être qu’une simple création du droit civil, née de
conventions variables, établies par des lois positives en vue de la plus
grande utilité sociale.</p>
<p>Pour les partisans assez nombreux de cette dernière opinion, si la
propriété est légitime, c’est parce qu’elle est utile ; car, suivant
eux, l’utilité est la racine de tout droit : une loi positive a créé la
propriété ; une autre convention pourrait la détruire et la remplacer
par une combinaison nouvelle. Pour quiconque se range à ce système, le
débat sur les droits des auteurs de productions intellectuelles peut se
borner à reconnaître si, en cette matière, il serait utile ou nuisible
de consacrer un droit destiné à s’exercer, dans toute sa plénitude,
d’après les règles et avec les conséquences que la législation actuelle
attribue à la propriété des objets matériels. Restreinte à ces termes,
la question serait promptement résolue ; car nous verrons plus tard que
de graves considérations d’intérêt général démontrent qu’il y aurait un
grand danger social à asservir aux liens d’un monopole perpétuel les
produits de la pensée.</p>
<p>[…]</p>
<p>Dans cette grande division d’objets appropriables et d’objets
inappropriables, à laquelle des deux classes appartiendront les
productions de l’intelligence, les travaux des sciences, de la
littérature et des arts ?</p>
<p>Ces productions, ces travaux, que sont-ils ? Une nouveauté de
combinaison dans les résultats de la pensée. Or, comment douter que par
son essence la pensée n’échappe à toute appropriation exclusive ?
Lorsqu’elle passe dans les esprits qui la reçoivent, elle ne cesse pas
d’appartenir à l’esprit dont elle émane ; elle est comme le feu, qui se
communique et s’étend sans s’affaiblir à son foyer.</p>
<aside class="sidenote right">
[<em>Plus loin :</em> La représentation matérielle de la pensée de
l’auteur a donné naissance à une valeur vénale et exploitable : cela est
vrai ; et ce n’est pas un des moindres titres des bons écrivains à la
reconnaissance publique que celle création de nouvelles valeurs
ajoutées, par la puissance de leur intelligence, à la masse générale des
richesses. Mais est-ce à dire que l’élément spirituel qui entre dans la
composition de ces valeurs soit appropriable ? Non sans doute.]
</aside>
<p>De ce que la limitation de la pensée par appropriation exclusive
n’est pas nécessaire, le genre humain est en droit de conclure qu’elle
n’est pas permise. Qu’un champ, qu’un fruit, qu’un objet quelconque dont
la nature est appropriable soit livré à tous, ou que tous veuillent à la
fois en prendre possession, personne n’en jouira. Au contraire, la
propagation de la pensée, loin de nuire à la pensée, la fortifie,
l’augmente, l’agrandit ; heureux que tous puissent en jouir, le genre
humain y puise sa dignité et sa vie. Propager, améliorer, compléter sa
diffusion, c’est pour l’humanité le premier de tous les progrès.</p>
<p>La perpétuité de propriété plaît à nos habitudes sociales. Une terre,
une maison, un meuble, sont possédés privativement et se transmettent
par succession. Un auteur se dit : J’ai créé un ouvrage qui vaut bien
autant qu’un meuble, qu’une terre ; pourquoi mes enfans n’en
jouiraient-ils pas, comme tous les autres enfans de tous les autres
biens que leurs pères leur laissent ? Ces considérations sont
puissantes. Nul ne peut nier que si l’auteur avait appliqué les forces
de son intelligence à spéculer, à labourer, à planter, à bâtir, il
aurait pu ainsi accroître le patrimoine de ses enfans pendant cette
période de la vie de famille où c’est au père et non aux enfans qu’est
imposé le devoir du travail, et lorsque le bas âge de ceux-ci les laisse
hors d’état de se suffire à eux-mêmes. Mais que l’on y fasse attention !
les meilleures vérités s’allèrent et se ruinent lorsqu’on les exagère.
Il faut que le travail des pères profite aux enfans ; mais il ne faut
pas, en accordant un droit de propriété indéfinie sur des objets dont
l’essence n’exige pas qu’ils demeurent à jamais appropriés à des
détenteurs exclusifs, faire dire que le travail des pères a pour
résultat de favoriser, sans terme ni limites, l’oisiveté des enfans au
détriment de la société tout entière. Étendre les transmissions par voie
d’hérédité au-delà des cas où l’hérédité est indispensable, c’est aller
plus loin que consolider la propriété, c’est fonder la noblesse, c’est
élever, sur les ruines du droit commun, des exceptions et des faveurs
que notre ordre social repousse.</p>
<p>[…]</p>
<h4
id="lexpression-de-propriété-littéraire-doit-être-rejetée-de-la-langue-juridique.">§ Ⅵ.
L’expression de propriété littéraire doit être rejetée de la langue
juridique.</h4>
<p>[…]</p>
<p>Dans son sens primitif, propriété veut dire ce qui est
<em>propre</em>, particulier à telle personne, à telle chose ; ce qui
tient à leur essence ; ce qui les distingue de toute autre chose, de
toute autre personne. Ainsi, le propre de l’homme est d’être libre ; le
propre de l’animal est de sentir, croître et se mouvoir ; le propre de
la matière est d’être étendue, divisible : en d’autres termes, la
liberté est une propriété de l’homme ; le sentiment et la locomotion
sont des propriétés de l’animal ; l’étendue, la divisibilité sont des
propriétés de la matière. Dans ce sens, il est très vrai de dire que la
pensée est la propriété de l’homme, que les pensées de chaque homme sont
sa propriété.</p>
<p>[…]</p>
<p>L’expression <em>propriété</em>, prise comme désignation de qualités
et de l’essence intime de l’être, n’a point place dans la langue du
droit.</p>
<p>La pensée de tout homme lui est propre. Si nous sommes parvenus à
démontrer que cette pensée, une fois émise au dehors, ne sera pas
susceptible d’appropriation, il s’ensuit que le droit de propriété, dans
l’acception légale de ce mot, pourra s’appliquer à la portion ou aux
portions de la matière auxquelles la forme de la pensée aura été
imprimée, et, par exemple, à tel volume, à tel tableau, mais ne
s’entendra jamais de la pensée elle-même, non plus que de la faculté à
une portionde la copier, de la reproduire, d’en rtion imposer à une
portion de matière le sceau et la forme.</p>
<p>L’expression <em>droit de copie</em>, employée par les Anglais et les
Allemands est beaucoup plus juste. […]</p>
<p> </p>
<h4
id="des-privilèges-perpétuels-détruiraient-les-droits-qui-appartiennent-à-la-société.">§
Ⅹ. Des privilèges perpétuels détruiraient les droits qui appartiennent à
la société.</h4>
<p>Accorder à l’auteur, à titre de rémunération de son travail et par
une concession de la loi, la perpétuité de monopole qui existerait par
elle-même si le droit qui appartient à l’auteur lui était dévolu à titre
de propriétaire, ce serait arriver par une autre voie, à des effets
identiques avec ceux du droit de propriété.</p>
<p>L’on a pu voir que, jusqu’ici, j’ai cherché à démontrer que le droit
des auteurs diffère du droit de propriété, en étudiant l’un et l’autre
de ces droits dans leur nature et dans leur cause.</p>
<p>Il est temps maintenant de considérer les effets. Ceux qui
découleraient de l’adoption de la théorie d’une propriété littéraire
étant absolument les mêmes que ceux que produiraient des privilèges
perpétuels, je ne les séparerai pas dans ce que j’ai à en dire.</p>
<p>La perpétuité de transmission, soit du privilège, soit de la
propriété, renchérirait les livres et les exposerait à périr.</p>
<p>Le renchérissement perpétuel des livres, la destruction absolue de
toute concurrence, pour le présent et pour l’avenir, en ralentissant la
circulation des idées, porteraient aux progrès sociaux un mortel
préjudice. La société n’y perdrait pas seule ; la gloire de l’auteur et
de sa mémoire en serait amoindrie ; son vœu le plus cher et le plus
noble, celui de la propagation de ses idées, serait compromis et trompé.
Pour payer un plus haut prix à l’auteur, on restreindrait l’influence de
son service ; on diminuerait, avec l’utilité de l’ouvrage, la justice de
la récompense ; on affaiblirait son titre de créance sur l’humanité, par
les mesures mêmes que l’on prendrait pour en exagérer la valeur. Le
renchérissement momentané qu’amènent les privilèges temporaires a ses
inconvéniens, mais s’explique par la nécessité : la perpétuité du
renchérissement serait un mal sans remède.</p>
<p>En dépassant ainsi le but, on courrait grandement le risque de le
manquer et de nuire aux intérêts même que l’on aurait l’intention de
servir ; les besoins de la consommation générale et la nécessité de la
diffusion des bons ouvrages multiplieraient les contrefaçons, qui
deviendraient le seul correctif du monopole perpétuel ; une connivence
publique excuserait un délit dont le public profiterait, et qui
cependant ne peut pas plus que les autres être toléré sans péril et sans
habituer l’opinion au mépris des droits privés et des lois. Une prime,
toujours ouverte, en faveur de l’industrie étrangère, écraserait la
librairie nationale et détruirait tous les profits attachés aux droits
d’auteurs, pour n’enrichir que la fraude. Quand le privilège n’est que
temporaire, le sacrifice est plus court, sa justice est évidente ; et
cependant il ne se garde que par la plus active surveillance. Que
serait-ce s’il ne devait jamais prendre fin ?</p>
<p>Invoque-t-on, à l’appui de la perpétuité des droits d’auteurs,
l’avantage qu’il y aurait à encourager puissamment les écrivains, en
leur montrant la perspective de la création d’un bien qui se
transmettrait à toujours dans leur famille et qui ne permettrait plus
que l’on eût à gémir de la pauvreté où sont exposés à tomber les
descendans des grands hommes dont le génie a enrichi leur patrie et le
monde ?</p>
<p>Je comprends que cet argument peut un instant émouvoir, et qu’il peut
balancer, auprès de beaucoup d’esprits, le tort grave, le mal
irréparable que ferait à la mémoire de l’auteur le renchérissement
perpétuel de son livre. Mais, avant de se rendre à cet argument, que du
moins on en mesure la portée. Pour le rendre efficace, il faudrait
interdire les aliénations qui feraient sortir de la famille de l’auteur
le droit sur son ouvrage, et ne les permettre aux auteurs eux-mêmes que
pour un temps limité ; car ce serait là l’unique moyen d’éviter le
spectacle d’une famille d’auteur indigente à côté d’un opulent
cessionnaire. Passons sur ce qu’aurait d’étrange cette interdiction
d’aliéner et cette dérogation à la législation commune. Le droit de
l’auteur se divisera-t-il à l’infini entre tous ses héritiers ? Mais
alors, pour peu que les générations se succèdent et que la famille
prenne d’extension, avec qui traiteront les tiers ? comment réunira-t-on
tant de consentemens divers lorsqu’il faudra traiter ? qui entreprendra
de trouver tant d’individus épars, de régler leurs intérêts respectifs,
de mettre d’accord leurs volontés ? Ajoutez que, par l’augmentation
successive du nombre des parties prenantes, la part de chacun
s’amoindrira par des morcellemens indéfinis et sera réduite à rien.
Essaiera-t-on, pour éviter une pallie de ces inconvéniens, d’autoriser,
conformément au droit commun, les licitations et les partages ? Mais que
devient, dans cette hypothèse, le rêve de mettre pour toujours à l’abri
du besoin le nom et le sang de l’homme de génie dont on veut que les
ouvrages protègent à jamais tous les héritiers ? Il ne faut pas longues
années pour que, dans une même famille, quelques branches soient ruinées
à côté de branches opulentes. Une partie tout au moins des descendans
d’un même père cesserait ainsi de profiter du fruit de ses travaux.</p>
<p>Pour arriver à un résultat et pour garantir la jouissance de
l’ouvrage à un membre de la famille, il faudrait oser davantage et aller
jusqu’à un système de franche substitution. Créez donc hardiment un
majorat intellectuel. Donnez par droit d’aînesse une représentation
puissante aux droits de l’auteur.</p>
<p>Toutes ces hypothèses sont insensées. S’il arrive qu’un nom glorieux
soit porté par des hommes condamnés à la misère, ce sont là des maux
privés qui peuvent trouver des réparations. L’État peut se montrer
généreux pour ces illustrations nationales, comme Voltaire pour la
famille de Corneille. Ce ne sont pas là des considérations qui puissent
autoriser à fausser un droit dans sa nature et dans ses conséquences. Si
les droits d’auteurs étaient perpétuels, il faudrait qu’il entrassent
dans le commerce, comme tous les autres biens, et rien ne pourrait
empêcher que ce ne fut au profit de familles étrangères qu’ils
grevassent le public de charges inconciliables avec les intérêts de la
plus précieuse de toutes les consommations, celle des alimens de
l’intelligence.</p>
<p>Lorsqu’un fils hérite du champ de son père, lorsqu’un acquéreur
succède à son vendeur, lorsque enfin une propriété se transmet par
quelque mode que ce soit, le nouveau propriétaire acquiert, dans toute
leur plénitude, les droits qui appartenaient au propriétaire précédent ;
maître absolu de sa chose, il peut en user ou n’en user pas, la
conserver ou la détruire. Les ayant-cause qui succéderont soit à la
propriété, soit au privilège de l’auteur seront donc à perpétuité les
seuls propriétaires légitimes de tous les exemplaires du livre, dont pas
un, à aucune époque, n’entrera dans le commerce, s’il n’est
originairement sorti de leurs mains, ou de celles de leurs employés ou
mandataires. Ici se manifeste la possibilité d’un immense danger ; ce
n’est plus seulement la perte partielle du livre par son
renchérissement, c’est une perte totale qui devient à craindre. Lorsque
le cours habituel des transactions humaines aura amené un ouvrage dans
les mains des spéculateurs en possession desquels tous viendront se
concentrer, lorsque, si même le privilège ne sort pas de la famille,
l’éloignement des générations aura affaibli ou effacé le culte pieux du
nom paternel, le sort de l’ouvrage se trouvera livré à tous les calculs
de l’indifférence. Que l’on ne dise plus désormais qu’une pensée émise
ne peut ni ne doit se détruire, et est acquise à l’humanité. Non
seulement il deviendra loisible à l’avarice de tout héritier de
paralyser la circulation de l’ouvrage, non seulement son avidité pourra
impunément en ralentir, en renchérir la propagation, mais encore, pour
un peu d’argent, tout parti puissant, tout gouvernement ombrageux, tout
auteur rival, toute spéculation de concurrence seront maîtres de
l’anéantir. L’héritier de Pascal aura pu se vendre aux Jésuites, et
frapper d’interdit les Provinciales. Que l’on ne tienne plus compte de
cette dette de tous les hommes qui doivent à la circulation les idées
qu’ils ont empruntées d’elle, et qui ont à payer, à restituer au public
ce que les plus grands génies, ce que les esprits les plus originaux
doivent à leur siècle, aux siècles antérieurs, à leur éducation, à ce
qu’ils ont vu et senti dans le monde, dans les livres et dans la
conversation avec les grands esprits de tous les âges ! Les œuvres du
génie n’appartiendront plus à l’humanité ; ils seront à jamais une
marchandise que l’on pourra coter à la bourse.</p>
<p>Ces inévitables conséquences de la perpétuité suffisent pour faire
écarter les privilèges perpétuels.</p>
<p>À elles seules aussi, et indépendamment de ce que révèle l’étude du
droit de propriété, d’une part, et d’autre part celle du droit des
auteurs, examinés et compris dans leur origine et dans leur essence, ces
conséquences suffiraient pour condamner, par ses effets, le dogme d’une
propriété littéraire. Si les théories entrent dans les convictions par
l’examen de leurs causes, elles se jugent par leurs effets ; la pratique
en est la pierre de touche, comme la théorie est la régulatrice de la
pratique. Si le principe de propriété ne peut, quant on l’applique aux
productions de la pensée, amener que des conséquences impossibles ou
dangereuses ; il y a plus, s’il ne conduit pas à des résultats utiles à
l’humanité et au bien-être social, on peut, par cela seul, affirmer
hardiment qu’il n’est pas en cette matière le principe vrai ; car
l’utilité ; si elle n’est pas la base des systèmes, en est le contrôle ;
autant il est certain qu’elle ne crée pas le droit, autant il faut
croire à cette souveraine et sage harmonie qui, dans les lois par
lesquelles est régie l’humanité, marie toujours le juste avec
l’utile.</p>
<p>Considérée philosophiquement dans ses causes, la propriété littéraire
serait une erreur ; envisagée pratiquement dans ses effets ce serait un
mal social. Je sais bien que là se présente le souverain et bienfaisant
remède des écarts de la pensée humaine et de son impuissance à saisir
clairement la vérité : ce remède, c’est l’inconséquence. On ne voudra
pas que les œuvres d’esprit périssent, et l’on obligera leurs
propriétaires à les publier même malgré eux ; on ne voudra pas que leur
prix soit inaccessible, et l’on déterminera des conditions de prix ; on
ne voudra pas engager indéfiniment l’avenir, et l’on ménagera des
éventualités de réversion au domaine public ; c’est-à-dire que l’on
aimera mieux manquer à la logique qu’au bon sens, et pour conserver le
mot propriété on se montrera facile à sacrifier les conséquences
nécessaires de ce droit.</p>
<p>Mieux vaut, sans doute, être illogique qu’insensé : mais il faut
tâcher d’être logique, et abandonner une théorie quand ses résultats
sont évidemment faux. C’est en procédant par des inconséquences que l’on
répand le scepticisme sur les principes. Plus le respect pour la
propriété joue un rôle important dans les sociétés humaines, plus il
faut le préserver de ces extensions exagérées, qui, loin de fortifier ce
grand principe conservateur, ne feraient que l’exposer au doute.</p>
<p>En résumé, voici une alternative de laquelle on ne sortira pas : ou
bien on ébranlera le droit de propriété, en proclamant qu’il n’est
inviolable et perpétuellement transmissible qu’en théorie et que l’on ne
peut en détruire le principe par des exceptions, lorsqu’on en vient à
ses applications pratiques ; ou bien on niera que la perpétuité, que
l’inviolabilité soient les caractères essentiels de la propriété ; et
alors sans doute on se chargera de lui trouver d’autres explications,
d’autres conditions, d’autres bases ; une autre nature.</p>
<p>Les difficultés s’évanouissent si, renonçant à confondre les idées
pour agrandir les mots, on consent à reconnaître dans la publication
d’un livre, ce qu’il est si beau, si facile, si satisfaisant d’y voir :
un service rendu. Les conséquences de la propriété, en affaiblissant le
service, en l’exposant à périr, rendent au contraire le problème
insoluble et empêchent d’obéir à la première de toutes les conditions
qu’il faut poser pour la justice du paiement de l’auteur, la nécessité,
en récompensant son travail, de maintenir intacts les droits de la
société sur la jouissance des idées, pour la plus grande gloire de
l’auteur et pour l’accomplissement même de son œuvre.</p>
https://hroy.eu/notes/jean-zay/2020-06-20T09:29:39Z2014-03-22T00:15:49Z
<div class="inreplyto p-in-reply-to h-cite">
<span class="replyto arrow"></span><span
class="p-author h-card"><a class="u-url" href="https://twitter.com/calimaq"><img class="u-photo" src="http://1.gravatar.com/avatar/186aa619cd8cb3ec66cd2b19722ce8d7?s=96&d=identicon" alt="" /><span
class="p-name">Calimaq</span></a></span><a class="profile url" href="https://twitter.com/calimaq">https://twitter.com/calimaq</a><span
class="dt-published">21 mars 2014</span><span
class="p-content"><a class="u-url" rel="in-reply-to" title="In reply to: Jean Zay et la possibilité d’un retour aux origines du domaine
public" href="http://scinfolex.com/2014/03/21/jean-zay-et-la-possibilite-dun-retour-aux-origines-du-domaine-public/">Jean
Zay et la possibilité d’un retour aux origines du domaine
public</a></span>
</div>
<p>Le projet de réforme de droit d’auteur de Jean Zay dans les années
1930 est un autre de ces textes un peu oubliés, passé dans l’ombre de la
loi de 1957 « sur la propriété littéraire et artistique ».</p>
<p>Cet intitulé malheureux est un peu comme une trahison du <em>droit
des auteurs</em> qu’<a
href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Augustin-Charles_Renouard">Augustin-Charles
Renouard</a> avait fondé dans son grand traité de 1838, ce traité là qui
est la base de la doctrine des droits moraux en droit français.</p>
<p>Il est peut être temps de compiler une sélection d’articles pour
donner une autre histoire du droit d’auteur en France que celle que veut
parfois nous inventer certains tenants de la « propriété littéraire et
artistique ».</p>
<p>Je rejoins complètement Calimaq dans sa conclusion :</p>
<blockquote>
<p>Mais détacher le droit d’auteur de la notion de propriété, c’est
aussi ouvrir la porte à un meilleur équilibre entre la protection des
droits et les usages, comme le prouve ce « domaine public anticipé »
chez Jean Zay. Un retour aux origines du droit d’auteur et du domaine
public est difficile, mais il n’est pas complètement impossible.</p>
</blockquote>